Le « bouclage » du Sahara info a grossièrement correspondu au vote de l’accord de pêche au Parlement européen, ce 10 décembre 2013. Contrairement à ses précédents votes ou déclarations respectueux du droit international et de ses valeurs revendiquées, ce dernier vote revient à des considérations plus « banales », résultat des pressions et expression des intérêts économiques et financiers de plusieurs membres, et glisse sous le tapis valeurs et respect du droit.
Le précédent vote qui devait déjà entériner un partenariat euro-marocain sur la pêche eût lieu en décembre 2011. Il fut un échec pour les tenants du « pragmatisme de l’autruche », puisque dans leur majorité, les députés européens le refusèrent au nom à la fois du respect de l’environnement et de la ressource et au nom du refus de l’occupation du Sahara occidental par le Maroc, ce dernier imposant aux Européens d’inclure dans l’accord de pêche, les eaux territoriales sahraouies. Ce vote fut en 2011 une surprise pour les tenants de la pêche à tout prix, pêcheurs espagnols en particulier, qui savent bien que la ressource se trouve principalement au large du Sahara occidental et non pas au Maroc.
Celui de 2013 qui vient d’avoir lieu, consacre la coopération euro-marocaine y compris dans le territoire sur lequel le Maroc n’exerce pas de souveraineté légale. Il a sans doute été mieux préparé par la Commission et par le gouvernement espagnol imposant à ses élus un vote en faveur de l’accord. Si on compare les votes de 2011 et de 2013, les différences se situent essentiellement sur le nombre des absents au vote, 82 à 202, en particulier chez les élus socialistes. Vote « honteux » pour lequel ils avaient des consignes, qu’un grand nombre de députés n’a pas souhaité exercer ?
Le « lobby » défendant le droit international et le respect des droits de l’homme, mis en œuvre par nombre d’associations, d’élus locaux et par le Parlement de l’Union Africaine, n’a pas eu raison du lobby économique. Comme le déclarent le 12 décembre, les associations européennes, réunies dans l’EUCOCO : « une fois encore les intérêts économiques de quelques uns l’ont emporté sur le bien commun et le droit. »
Mais ce vote dépasse largement les considérations économiques mises en avant par les tenants de l’accord, il consacre en effet la légitimité de l’occupation du Sahara par la possibilité donnée au Maroc de vendre des ressources qui ne lui appartiennent pas. Les militants sahraouis d’El Aioun ne s’y sont pas trompés en manifestant ce 10 décembre pour demander aux députés de refuser cet accord. En vain, ils n’ont récolté que des coups et de la violence. Il est donc indispensable de reprendre la mobilisation en direction de l’Europe et de nos gouvernements respectifs.
En novembre, l’association espagnole « Western Sahara Human Rigths Watch » avait exigé des clarifications pour que la ratification du protocole de pêche UE/Maroc soit conforme au droit international et au droit européen.
Bruxelles, le 12 novembre 2013
Western Sahara Human Rights Watch (WSHRW) considère que, à la lumière de l’avis consultatif des services juridiques du Parlement Européen (PE) du 4 novembre 2013 (SJ 0665/13), le Protocole de pêche UE-Maroc signé le 24 juin 2013 (P-2013) ne peut être ratifié par le Parlement Européen que si des clarifications précises sont produites, sans lesquelles cet accord serait contraire au Droit International et au Droit Européen. A cet effet, il convient de rappeler certains éléments essentiels:
PREMIER.
Tant l’Accord de pêche UE-Maroc en vigueur à partir du 28 février 2007 (A-2007) que le Protocole de 2013 se réfèrent aux eaux sous la souveraineté ou la juridiction du «Maroc». Comme l’avis consultatif SJ 0665/13 du service juridique du PE le laisse clairement entendre, les eaux du Sahara occidental ne se trouvent en ce moment ni sous la «souveraineté» ni sous la « juridiction » de Maroc. En conséquence, le PE ne peut autoriser la ratification du P-2013 que s’il dit s’appliquer uniquement et exclusivement aux eaux du «Maroc», pour éviter un usage frauduleux de l’accord. Ce qui signifie que, si l’on suit la rédaction des P-2013 et A-2007, des activités de pêche ne peuvent être réalisées dans les eaux du Sahara occidental.
DEUXIEME.
Si le PE prétend ratifier le P-2013 en considérant seulement la pêche dans les eaux sous la «souveraineté» et «juridiction» du «Maroc», sans inclure par conséquence les eaux, non marocaines, du Sahara occidental, il convient que le PE considère si le prix payé par l’UE est adéquat. En effet, comme le «Conseil Economique, Social et Environnemental» du Maroc vient de le déclarer dans son rapport d’octobre 2013 «Nouveau modèle de développement pour les provinces du sud», au paragraphe 162 : «En 2012, les provinces du Sud ont rapporté 78,7% du volume des captures nationales (autour de 930 000 tonnes) et 69% de sa valeur (5,4 Mds DH). » (N.B. l’expression «provinces du sud» se réfère en langage interne marocain au Sahara occidental).
TROISIEME.
Si, bien que le texte du P-2013 n’inclue pas les eaux du Sahara occidental (qui ne sont pas « eaux territoriales » ni « ZEE » du Maroc), on prétend ratifier ce Protocole de 2013 pour permettre la pêche dans les dites eaux, l’avis consultatif SJ 0665/13 exige que les paiements respectifs et les activités de pêche de l’Union soient au bénéfice de la population du Sahara occidental, en accord avec les obligations marocaines au regard du droit international. Tout cela exige que l’UE autant que le Royaume du Maroc introduisent des clauses précises, aujourd’hui inexistantes, dans le P-2013.
QUATRIÈME.
Comme l’avis consultatif SJ 0665/13 le rappelle, les obligations imposées par le Droit International pour pêcher dans les eaux, non marocaines, du Sahara occidental émanent, en dernier ressort, de l’article 73 de la Charte des Nations Unies et ont été́ développées par l’avis du service juridique des Nations Unies (S/2002/161) (« avis Corell »). Le Droit International considère que les intérêts du peuple du Territoire Non Autonome ont un caractère prioritaire et qu’il doit être tenu compte des désirs de ce peuple.
CINQUIÈME.
La conclusion de l’avis SJ 0665/13, contenue dans son paragraphe 33.d), considère que si on prétend appliquer également le P-2013 aux eaux, non marocaines, du Sahara occidental, alors les paiements doivent « bénéficier à la population du Sahara occidental, en accord avec les obligations marocaines selon le Droit International ».
SIXIÈME.
Si on prétend ratifier le P-2013 avec l’intention de l’appliquer aussi aux eaux, non marocaines, du Sahara occidental, pour pouvoir s’acquitter des obligations du Droit International concernant les paiements dus à la population du Sahara occidental, il est indispensable de tenir compte des circonstances suivantes :
- Que, au Sahara occidental, une partie de la population se trouve dans le territoire sous occupation marocaine et l’autre partie dans les campements de réfugiés près deTindouf (Algérie).
- Que l’unique détermination officielle de ceux qui composent la population sahraouie se trouve dans le recensement élaboré par la Commission d’Identification de la Mission des Nations Unies pour le Referendum au Sahara occidental (MINURSO) du 30 décembre 1999, ainsi que dans la liste de rapatriement des réfugiés sahraouis établie par le Haut-Commissaire des Nations Unies pour les Réfugiés (ACNUR) le 31 octobre 2000.
- Qu’il y a un processus de négociation ouvert par l’ONU depuis 1991 sur le statut final du territoire réclamé par deux parties, le Maroc et le Front Polisario (ce dernier en qualité de représentant du peuple sahraoui), et que dans les dites négociations l’État marocain a reconnu le Front Polisario comme représentant du peuple sahraoui.
SEPTIEME.
Si on prétend ratifier le P-2013 avec l’intention de l’appliquer aussi aux eaux, non marocaines, du Sahara occidental, une application avec garanties de la conclusion de l’avis SJ 0665/13, contenu dans son paragraphe 33.d), rend nécessaire que les paiements à la population sahraouie s’effectuent à travers une instance chargée d’administrer, de surveiller et de garantir que les objectifs de l’avis sont pleinement satisfaits ; à cette instance doivent participer : des représentants de la MINURSO, des représentants sahraouis, tant du domaine sectoriel que de la société civile, désignés par le Maroc et le Front Polisario, et des représentants de la HCR. Il pourra y avoir des experts internationaux en qualité de conseillers pour aider les membres désignés à élaborer des protocoles ou des mesures d’actuation.
HUITIÈME.
Si on prétend ratifier le P-2013 avec l’intention de l’appliquer aussi aux eaux, non marocaines, du Sahara occidental, le respect du Droit International et du Droit Européen exige qu’il garantisse les droits suivants:
- Le caractère public et transparent de l’offre des postes de travail ou des opportunités patronales générés par l’activité de pêche.
- Que les dispositions du A-2007 (chapitre VII de l’Annexe de l’accord) relatives à l’obligation des bateaux de l’UE d’employer des pêcheurs « marocains » soient modifiées ou interprétées officiellement pour que, quand les bateaux de l’UE pêchent dans les eaux, non marocaines, du Sahara occidental, les marins employés soient des Sahraouis reconnus par les Nations Unies dans la liste provisoire des votants du 30 décembre 1999 établie par la Commission d’Identification de la MINURSO pour le referendum, ou dans la liste de rapatriement établie par le HCR le 31 octobre 2000, ou bien leurs descendants, et ce sans discrimination politique, spécialement sur leur position vis-à-vis du statut final du territoire.
- Garantir à travers le HCR la libre circulation, l’agrément et la sécurité sur le territoire occupé par le Maroc des Sahraouis intéressés (spécialement les réfugiés) à participer à l’activité économique sectorielle ou aux activités dérivées de celle-ci.
- Garantir qu’une partie des bénéfices sera destinée au financement, à travers la MINURSO ou à travers des organisations dépendant de l’ONU, de programmes non nécessairement en relation avec l’activité sectorielle de la pêche mais dirigés vers la population sahraouie reconnue par l’ONU, tant dans le territoire sous occupation marocaine que dans les camps de réfugiés ; programmes qui devront satisfaire les objectifs ou buts établis à l’Article 73 de la Charte de l’ONU et qui devront contribuer au bien-être de la population sahraouie en terme de développement social, politique, économique et éducatif.
NEUVIÈME.
Si on prétend ratifier le P-2013, avec l’intention de l’appliquer aussi aux eaux, non marocaines, du Sahara occidental, le respect du Droit International exige de la part du Royaume du Maroc qu’il fasse une comptabilité séparée des activités de pêche réalisées dans les eaux marocaines et des activités réalisées dans les eaux du Sahara occidental afin de pouvoir déterminer quelle partie des revenus a été produite dans les eaux du Maroc et quelle partie dans les eaux du Sahara occidental, afin de pouvoir déterminer quelle partie des bénéfices doit être destinée au Maroc et quelle partie au Sahara occidental.
Texte traduit par nos soins.
La CGT s’adresse aux parlementaires européens (Paris le 5 décembre 2013)
Au nom de la CGT nous vous demandons de voter contre ce rapport qui à l’évidence ne respecte pas le droit international puisqu’il inclut les eaux territoriales du Sahara occidental. Ce vote, paradoxe du calendrier, doit intervenir le 10 décembre, journée internationale des Droits de l’Homme. L’application de cet accord signifierait que le Parlement Européen tolère les violations des droits de l’homme commises au Sahara occidental par le Maroc. Violations dénoncées par le rapporteur spécial contre la torture, par de nombreuses associations des Droits de l’Homme comme Human Rigths Watch, Amnesty, Front Line et le Centre Robert.F Kennedy et par le PE lui-même dans sa résolution du 22 octobre (Rapport Tannok).
Les actions face à ce vote !
A « chaud » tout juste après le vote, le secrétariat de la plateforme a proposé au réseau solidaire : « très vite, interpeller le gouvernement français et les députés qui ont voté pour l’accord qui bafoue le droit international, en pointant en particulier l’absence de respect des droits de l’homme au Sahara occidental, alors que ce respect est souligné comme condition de la pérennité de l’accord » ; « obtenir un nouvel avis juridique de l’ONU prolongeant et précisant celui de Hans Corell de 2002 » ; « demander la suspension de l’accord dès sa mise en œuvre en faisant jouer la clause droits de l’homme. »
Sahara Info 164-165 – p.7-8
La France soutient-elle enfin l’autodétermination ? – Juillet à décembre 2013