Le quatorzième Congrès du Front Polisario :
 une leçon de responsabilité !

Le 14e Congrès du Front Polisario s’est tenu du 16 au 23 décembre 2015, quatre années après le 13e pour respecter ses statuts.
Ce dernier se tenait en 2011 loin des campements dans les territoires libérés du Sahara occidental, à Tifariti, au Nord de la Saguia. C’est une des parties du Sahara libéré qui s’est le plus vite repeuplée, après le cessez-le-feu de 1991, où beaucoup a été construit, où sont revenus les éleveurs, dans une zone parcourue par les oueds où le pâturage peut être abondant.
Il se tient cette année à Dahkla dans une willaya des campements de réfugiés, particulièrement éprouvée par les inondations d’octobre, où un grand bâtiment a été reconstruit en urgence pour accueillir les 2472 délégués et les invités au congrès.

Le lieu choisi pour un Congrès n’est pas le fait du hasard. En 2011, les Sahraouis avaient encore besoin de montrer leur capacité à installer un tel évènement dans un lieu éloigné et de signifier fortement leur présence au Sahara occidental même. Pour cette année, les enjeux sont tels que c’est leur capacité à dégager de nouvelles perspectives qui compte, plus que le déploiement matériel et logistique pour des centaines de personnes.
La tenue du Congrès, tous les trois ou quatre ans, est centrale dans la vie politique et sociale sahraouie. En effet, ce qui y est débattu concerne à la fois la vie de cette organisation et celle de l’en- semble de la société sahraouie et de sa république. RASD et Polisario constituant une forme de Parti-Etat, instrument indispensable, suivant ses fondateurs et aujourd’hui encore ses dirigeants, pour mener la bataille de l’indépendance.

La préparation du 14e Congrès

Avant de recueillir les résultats du Congrès, qui doit théoriquement s’achever le 20 décembre, les informations concernant sa préparation sont connues. Les conférences préparatoires se sont tenues en novembre-décembre, dans les différentes willayas, de manière clandestine dans les territoires occupés et partout en Europe où se trouvent d’importantes communautés sahraouies impliquées dans le fonctionnement du Polisario. Ces conférences locales sont organisées au niveau de chaque daïra ou de chaque section d’institution, ou au niveau régional pour chaque willaya ou organisation de masse (UJSARIO, UNFS, UGTSARIO, etc.) par la Commission de préparation. Cette commission est composée de 84 membres élus par le Secrétariat national du Front Polisario. Toutes ces conférences débattent des sujets qui vont être discutés au Congrès et élisent par bulletin secret leurs délégués au Congrès.

Pendant ces deux mois a eu lieu un énorme forum de débats, de discussions, de disputes qui ont mobilisé une grande part de l’énergie des campements. L’épisode dramatique d’octobre, avec les inondations et les immenses dégâts causés partout, a sans doute rehaussé chez les habitants des camps la cohésion, l’intérêt pour la vie publique, que 40 ans d’exil et l’impasse des solutions politiques avaient fortement entamés.


Le contexte du Congrès et ses principaux enjeux : le Front Polisario dans une situation paradoxale

La situation dans les campements et la place du Front Polisario sont en effet paradoxales en cette fin 2015.

Vue générale de la salle du Congrès

D’un côté, un exil qui n’en finit pas, une perte de confiance certaine dans l’action et les choix du Front Polisario depuis 1991, en raison d’un cessez-le-feu maintenu alors que son but déclaré, la mise en œuvre du référendum d’auto-détermination, n’est toujours pas atteint plus de 24 ans après, en raison de l’impuissance notoire de l’ONU, qui rend incertaine une solution pacifique. Cette situation – la dépêche de l’agence sahraouie officielle, SPS, n’hésite pas dans sa présentation du Congrès à l’évoquer ainsi : « Trouver une nouvelle stratégie à même de sortir de l’impasse actuelle » – est aggravée par le dénuement des campements. La crise espagnole y a été vivement ressentie : retour de nombreux travailleurs sahraouis partis depuis les années 2000 en Espagne qui amélioraient de manière significative le quotidien de leurs familles, baisse drastique des aides venant d’Espagne et des agences de l’ONU.

Par ailleurs, la volonté d’éduquer tous les enfants dans les camps comme à l’étranger a produit les meilleurs résultats, la RASD compte des centaines de brillants universitaires. Mais la majorité d’entre eux n’ont nulle part où s’employer. Aussi beaucoup éprouvent cruellement un sentiment de « no future », dans lequel l’élan révolutionnaire qui était celui de leurs aînés s’est émoussé. Et certains s’impatientent de voir toujours les mêmes dirigeants à la tête du Front Polisario. L’une des questions du Congrès sera sans doute pour eux : comment reconstruire cet élan révolutionnaire ?

Délégués se dirigeant vers la salle du congrès, on devine dans le groupe Baba Miské, un des créateurs du Front Polisario

Mais, de l’autre côté, le Front Polisario est renforcé dans sa légitimité au plan international par deux récentes décisions politique ou de justice, l’une émanant du gouvernement fédéral suisse (admission du premier mouvement de libération au monde, le Front Polisario, aux Conventions de Genève) et l’autre de la Cour de Justice européenne (annulation de l’accord agricole UE-Maroc en raison de son application indue au Sahara occidental) : le Front Polisario est ainsi reconnu et consacré comme sujet de droit international, représentant légitime du peuple sahraoui. Par ailleurs, l’envoyé personnel du Secrétaire général de l’ONU, Chris
topher Ross, s’est rendu en octobre-décembre à plusieurs reprises dans les camps, témoignant de la volonté de Ban Ki Moon de régler ce conflit qui n’a que trop duré.

La question de la reprise de la guerre est toutefois dans beaucoup de têtes… des plus jeunes sans doute, tous ceux nés après le cessez-le-feu qui n’ont pas connu les combats des années 70-80 et qui n’en peuvent plus d’attendre.



Un peu d’histoire : les origines du Front Polisario

20 mai 1973 : date de la création du Front Polisario et de son premier Congrès, où les présents décident la lutte armée pour imposer le départ de l’Espagne.

Lourde décision prise par un groupe de jeunes nationalistes, quelques universitaires étudiant en Espagne ou au Maroc, par des ouvriers et techniciens des mines de fer de Zouerate et de phosphate de Fos-Bou Craa, et par ceux et celles qui composent la base traditionnelle de la société sahraouie, éleveurs et commerçants. En 1973, l’Espagne franquiste est encore présente dans sa colonie alors que la grande majorité des États africains sont indépendants et que l’Assemblée générale des Nations unies vote depuis 1966 des résolutions invitant la métropole espagnole à organiser un référendum d’autodétermination.

C’est l’échec du mouvement pacifique initié par Mohammed Bassiri et le MLS (Mouvement de libération du Sahara), en 1970, qui engagea les créateurs du Front Polisario à décider la lutte armée. En effet, le 17 juin 1970, le gouverneur général espagnol avait convoqué une réunion de notables sahraouis à El Aïoun en vue de ratifier un projet rattachant plus étroitement le Sahara à l’Espagne. Le MLS décida alors d’organiser une manifestation pour signifier le refus de ce projet. La population d’El Aïoun vint très nombreuse, avec des notables, des membres de la Djemaa, des supplétifs militaires. Pour disperser cette foule immense, la troupe tira et le soir même Bassiri était arrêté et disparaissait. Premier martyr sahraoui de l’indépendance, présent encore aujourd’hui dans chaque mémoire.

Cette même foule, on la retrouve à El Aïoun en mai 1975, quand l’ONU organise une mission pour apprécier sur place la situation. Ses responsables déclarent : « Le Front Polisario, qui était considéré comme clandestin jusqu’à l’arrivée de la mission, est apparu comme la force politique dominante dans le territoire. Partout dans le territoire, la mission a assisté à des manifestations de masse en sa faveur. »

Depuis de nombreuses années, la population sahraouie s’impatiente de la présence espagnole, l’offre politique proposée par le Front Polisario lui per- met de s’organiser et de fixer clairement le cap de l’indépendance. Un deuxième Congrès se tient en août 1974, qui fixe avec un programme d’action nationale les voies de l’avenir ; son slogan est « Les masses garantissent la guerre de libération. » Le Manifeste politique du Congrès rend compte des actions menées depuis un an, mentionne que le conflit oppose l’Espagne et le peuple sahraoui et en même temps réclame « la non-ingérence d’aucune partie extérieure et le retrait des forces étrangères sur les frontières. » Le troisième Congrès du Polisario se tient dans des conditions redoutables en août 1976. Le Maroc et la Mauritanie ont envahi le Sahara occidental, l’Espagne a signé les accords de Madrid et en juin El Ouali, le secrétaire général, est tué au cours de l’attaque menée contre Nouakchott. La République a été proclamée en février, une partie de la population a trouvé refuge en Algérie dans des conditions d’extrême précarité, tout est à construire, à organiser, la lutte armée comme la vie civile de milliers de personnes en exil, qui ont tout perdu.

PHOTO SALLE DU CONGRES



Comment définir le Front Polisario ?

Il faut reprendre quelques textes écrits en 2001 par Fadel Ismail, dans son livre La république sahraouie publié à l’Harmattan. C’est un peu ancien mais permet d’apprécier comment un diplomate sahraoui dé nit son organisation : « Le Front Polisario, Front populaire pour la libération de la Saguia El Hamra et du Rio de Oro, est le produit du nationalisme sahraoui, sa vocation est de rassembler toutes les composantes du peuple, il a un rôle de conception et de direction… Ce n’est pas un parti, car il représente le peuple tout entier, c’est un front national qui a surclassé tous ses rivaux et s’est identité à l’ensemble du peuple. C’est une organisation qui correspond à une période transitoire pour libérer le territoire de la RASD de l’occupation étrangère et édifier une société démocratique moderne. »

Le contexte politique a déjà transformé certaines de ses pratiques. De 1973 à 1991, pendant la période de guerre la direction du Polisario est désignée. Depuis le cessez-le- feu le Secrétaire Général comme le Secrétariat National sont élus à bulletin secret, élection ouverte à tous les congressistes remplissant les critères de vote indiqués par les statuts. Dans la même dynamique démocratique, le Parlement est élu au suffrage direct ainsi que toutes les structures politiques et administratives de la RASD.



L’ONU attentive au calendrier du Polisario

Le 14e Congrès s’est tenu du 16 au 23 décembre 2015, sur un temps plus long que prévu compte-tenu des modalités de l’élection des membres du Secrétariat national. Pour chacun des 179 candidats qui se présentaient au suffrage des 2472 délégués, il s’agissait de recueillir les 2/3 des suffrages pour être élu au premier tour et 50% plus une voix des suffrages pour être élu au second tour.

La condamnation de l’accord de libre échange UE/Maroc par la Cour de justice européenne, résultat d’un dépôt de plainte du Front Polisario, est arrivée à point nommé à la veille du Congrès. Autre événement positif en cette n de décembre 2015 : l’adoption le 17-12 par le Parlement européen d’un amendement à son rapport général sur les droits de l’homme qui concerne le Sahara Occidental, et qui réclame expressément aux Nations Unies de doter la Minurso d’un mandat de surveillance des droits humains. De tels résultats encourageants ont permis de réaffirmer l’importance du travail diplomatique et juridique mené inlassablement par les dirigeants du Front Polisario, ils ont contribué à la bonne tenue du Congrès tout en retardant l’option du retour à la guerre comme seule alternative à l’impasse politique auparavant dénoncée.

Le Secrétaire général de l’ONU, Ban Ki Moon, est attendu en janvier dans les campements et dans les territoires occupés. Sera-t-il en mesure de faire bouger le Maroc en le ramenant à la table de réelles négociations ? C’est ce que souhaite la grande majorité des membres du Conseil de sécurité et ce qu’espèrent les congressistes.

Avec le déplacement de Ross en novembre, et celui du Secrétaire général prévu en janvier, l’ONU a « encadré » ce 14e Congrès, pre- nant la mesure des risques qu’une reprise de la guerre peut faire courir à la région. Il lui faut désormais convaincre le Maroc.


Deux personnalités incarnent le Front Polisario : El Ouali,
 dit Lulei, premier Secrétaire et Mohamed Abdelaziz, réélu par le 14e Congrès pour un douzième mandat !

El Ouali Mus
tapha Sayed,
héros et martyr
sahraoui, vé-
néré par tous. 
En l’espace de 
quatre ans, de
 1972 à 1976, le 
jeune secrétaire
 général du Front
 Polisario, aidé de ses compagnons et soutenu par un peuple entier, réussit à déclencher la lutte de libération nationale et à installer les fondements d’un État sahraoui. Le 9 juin 1976, il est tué lors d’une attaque téméraire sur Nouakchott menée par les combattants de l’APLS.

Mohamed Abdelaziz lui succéda, il était un des membres fondateurs capable d’arbitrer entre les différentes composantes du Front Polisario au moment où tout était à affronter. De congrès en congrès il est régulièrement reconduit et, depuis 1982, il est aussi Président de la RASD. Cette année encore, il a été réélu avec 91% des voix des délégués au Congrès. Très large consensus, qui témoigne de la confiance dont Mohamed Abdelaziz jouit au sein du peuple sahraoui.

Sans oublier deux autres fondateurs du Polisario, trop vite décédés : Mahfoud Ali Beïba et Khalil Mhamed auquel ce dernier congrès est dédié.


Un congrès au travail

Tribune du Congrès : de gauche à droite : Mohamed Khaddad, Abdel Kader Omar, Mohamed Abdelaziz et Bachir Mostapha Sayed ; principaux responsables de la république sahraouie et du Front Polisario

Suivant les témoignages des amis présents, il y avait beaucoup d’ambiance ! Un congrès qui réunit autant de monde est aussi l’occasion de multiples retrouvailles, familiales ou amicales, avec des délégués très dispersés, campements, territoires libérés, Sahara occupé, Europe, etc.

Les jeunes, nombreux et très présents dans les discussions, ont marqué leur tempo avec les femmes, également bien représentées.

Plusieurs commissions ont pré- paré le travail de cette assemblée nombreuse. Commission des statuts, des résolutions, du programme d’action nationale et de la déclaration finale. Tous les textes et propositions formulés par chaque commission ont fait l’objet de longs débats et ont abouti à dégager quelques points forts, future feuille de route du prochain secrétariat et du prochain gouvernement de la RASD. Que retenir ? Sans surenchérir sur la reprise de la guerre, ce Congrès a décidé de renforcer fortement l’armée et préparer ainsi si besoin une alternative sérieuse. Le Congrès est également davantage attentif au renforcement de la sécurité dans les territoires du Sahara que la RASD contrôle et administre, face aux risques terroristes et aux trafics en tout genre, comme la drogue et engage les responsables à y améliorer les conditions de vie pour les Sahraouis qui y vivent en permanence. Les représentants du Sahara occupé ont été longuement salués, le Congrès plaidant pour le renforcement de l’intifada et proclamant avec émotion sa solidarité avec les prisonniers. Le plan national a abordé les nombreux sujets et problèmes qui président au quotidien des réfugiés, souhaitant que les jeunes investissent davantage la sphère publique.

La déclaration finale a fait plus de place aux sujets internationaux et diplomatiques. Élargissement du mandat de la MINURSO au contrôle du respect des droits de l’homme au Sahara occupé, dénonciation de l’emprisonnement politique, mise en place d’un observatoire qui permettra de poursuivre les pays impliqués dans le pillage des ressources naturelles du Sahara occupé aux côtés du Maroc, urgence de l’application de l’autodétermination avec appel à un soutien plus déterminé de la Communauté internationale. Les congressistes n’ont pas manqué de saluer l’engagement sans faille de l’Algérie et celle de l’Union Africaine.

La réélection de Mohamed Abdelaziz et l’élection d’un Secrétariat National à la composition proche de celle du précédent ont conforté le leadership du Front Polisario sur l’ensemble des instances de la RASD. Les débats et récentes avancées diplomatiques ont permis de réaffirmer l’attachement des Sahraouis à un règlement pacifique du conflit, tout en laissant émerger une forte tendance pour la reprise de la guerre.

Pour tous ceux qui défendent une solution négociée, ce Congrès ne sera-t-il qu’un sursis si l’ONU ne trouve pas très vite un règlement juste et durable du conflit ? La France, membre permanent du Conseil de sécurité, doit en prendre la mesure.

Claude Mangin-Asfari, notre déléguée avec le plus vieux militant des territoires occupés

Un Secrétariat National composé de 49 membres. 29 ont été élus par le Congrès, 16 sont clandestins et résident au Sahara occupé et 4 seront élus par leur organisation ( jeunesse, femmes, étudiants, travailleurs). S’y retrouvent de nombreux anciens responsables auxquels les délégués ont à nouveau accordé leur confiance, avec cependant 4 nouveaux et désormais 4 femmes.

Le nouveau secrétariat permanent va être étoffé, il sera composé de 4 membres chargés de l’orientation politique, de la discipline et de l’éthique suivant les vœux fortement exprimés par le 14e Congrès.


Supplément Sahara info 168/169 – Janvier 2016
Le quatorzième Congrès du Front Polisario : une leçon de responsabilité !