Par Julien Dedenis, Doctorant en géographie
Plus de trente années après l’éclatement du conflit, le statut définitif du Sahara occidental demeure indéterminé. De fait, les cartographes semblent en proie à quelques difficultés pour le représenter graphiquement. Si dans l’absolu toute carte peut-être considérée comme recevable dans la mesure où son titre correspond bien à son contenu, la lecture de celles produites pour figurer le Sahara occidental demande un examen critique. En effet, on oublie trop souvent que la carte géographique n’a pas valeur de vérité mais n’est qu’une représentation, qu’une sélection d’informations et de figurés parmi l’infinité des possibles. Ainsi, en fonction du point de vue adopté, la cartographie du Sahara occidental peut être diverse.
Les cartes qui illustrent l’article sont tirées du numéro hors-série de Courrier International, L’Atlas des atlas, Mars avril mai 2005.
Selon Washington, le Sahara occidental constitue une entité géographique à part entière.
Pour la Palestine, l’intégrité territoriale du Sahara occidental doit être respectée. Une position partagée par les Nations Unies, qui n’ont jamais accepté l’annexion par le Maroc de cette ancienne colonie espagnole.
La représentation marocaine le fait disparaître en tant que territoire non-autonome pour le fondre au royaume et ne tient pas compte du mur de défense qui le sépare en deux zones ; sous son administration à l’Ouest, sous celle de la RASD à l’Est. La vision sahraouie le présente ou bien comme État indépendant, au même titre que ses voisins marocains, algérien ou mauritanien, ou bien scindé en deux parties. Ces deux trois manières de cartographier le Sahara occidental sont recevables dans la mesure où elles seraient titrées « le Sahara occidental vu par… ».
Ce qui est rare.
En effet, l’examen du cas – extrême – des cartes diffusées en France est révélateur de la désinformation à l’œuvre. Par militantisme pro marocain ou par conformisme, la presse, les livres scolaires, voire les atlas géographiques, proposent trop souvent la vision marocaine du Sahara occidental comme une réalité. Plus acceptable mais encore critiquable, on voit parfois des cartes figurant la frontière nord en pointillé. Plus mesurée, cette représentation laisse néanmoins penser que le conflit du Sahara occidental repose sur une question de délimitation frontalière alors que son enjeu est l’ensemble du territoire.
Pour essayer de sortir de cette vision cartographique « schizophrénique » et partisane, deux voies peuvent être explorées: celle du Droit international et celle des faits relevés directement sur le terrain.
Selon les termes du Droit international, le Sahara occidental est actuellement un territoire non-autonome. Ce statut doit amener le cartographe à représenter le Sahara occidental comme un territoire à part entière, distinct du Maroc et de la RASD. C’est-à-dire avec des frontières en traits pleins et avec des figurés surfaciques différents de ceux des deux entités étatiques – ou mêlant les deux si l’on souhaite souligner les deux futurs possibles conformément aux options du referendum d’autodétermination. Une carte du Sahara occidental selon les faits actuels ferait apparaître deux zones relevant de deux administrations différentes – le Maroc et la RASD – séparées par le mur de défense marocain. Il conviendrait d’y ajouter une bande de cinq kilomètres de large, le long du côté Est de ce mur, pour représenter la zone tampon instaurée avec le cessez-le-feu et qui est sous contrôle de l’ONU, donc sous administration de la communauté internationale.
Pour les autorités marocaines, le Sahara occidental ne constitue plus une entité géographique à part entière. Il prend rang parmi les 16 régions administratives qui composent le royaume.
Sur cette carte extraite d’un manuel scolaire algérien, le Maroc est représenté sans le Sahara occidental. Fidèle alliée du Front Polisario, l’Algérie, qui accueille sur son territoire les camps de réfugiés de Tindouf, n’a jamais accepté l’occupation du Sahara occidental par le Maroc. Son point de vue s’est d’ailleurs imposé au sein de l’Union africaine. Sur cette carte, le Sahara occidental reste une entité sans nom.
Que ce soit par rapport au Droit ou aux faits, le Maroc diffuse donc des cartes fallacieuses. C’est de bonne guerre. Ce qui est grave, scientifiquement parlant, c’est que des chercheurs contribuent à la diffusion de cette vision partiale qu’ils présentent pourtant comme conforme à la réalité. Non ! Le Sahara n’est pas marocain, pas plus que sahraoui, du moins en l’état actuel des choses. Scientifiquement parlant, ou bien on le considère comme non-autonome et on le représente en tant que tel, ou bien on le voit selon la division « Ouest-Maroc/Est-RASD ». Cette seconde option ne peut, en aucun cas, être assimilée à une reconnaissance de souveraineté. Il s’agit de la cartographie du Sahara occidental tel qu’il se présente concrètement aujourd’hui.
Sahara Info 138
janvier février mars 2007