Comment l’Europe peut-elle contribuer aux engagements pris par les Nations Unies d’ aboutir par la négociation à l’application du droit à l’autodétermination du Peuple Sahraoui ?
Intervention de Mahfoud Ali Beiba, Président du Parlement Sahraoui et chef de la délégation sahraouie aux négociations de Manhasset
La négociation engagée à Manhasset en 2007 entre Maroc et Polisario va-t-elle se poursuivre ? Le Front Polisario y est prêt, le non renouvellement du mandat de Walsum, lui donnant à nouveau des garanties pour créer les conditions d’une négociation équilibrée. La proposition onusienne de nommer l’ancien Ambassadeur américain Christofer Ross lui semble également de bon aloi. Le Maroc, quant à lui, hésite, tergiverse, attendant de la prochaine administration américaine un soutien tout azimut. Se retrouver au bon temps de Reagan par exemple avec le sénateur Mac Caïn ? La lecture de l’intervention de Mahfoud Ali Beïba, Président du Parlement Sahraoui, prononcée à l’occasion de la conférence parlementaire de juin, est dans ce contexte très utile. En effet, Mahfoud Ali Beïba a été au cours des précédents rounds de négociations, chef de file de la délégation sahraouie et, à ce titre, propose de solides perspectives.
Merci Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, Chers collègues,
Je voudrais tout d’abord exprimer la gratitude et les sincères remerciements du Peuple Sahraoui et des parlementaires sahraouis, à vous tous ici présents, ainsi qu’à tous ceux qui ont contribué à l’organisation et au succès de cette conférence. Nous espérons vivement que cette conférence de parlementaires qui se tient à Paris, capitale d’un pays impliqué à plus d’un titre dans le drame que connaît notre région ne manquera pas de peser pour un engagement plus décidé, plus courageux et plus soucieux de la légalité internationale de l’Europe. Engagement en faveur d’une solution pacifique au conflit du Sahara occidental, conformément à la pratique des Nations Unies en matière de décolonisation.
Le Sahara occidental, 33 années après le retrait peu honorable de l’Espagne, reste inclus dans la liste des derniers territoires non autonomes établie par le comité de décolonisation des Nations Unies.
Le Sahara occidental reste, 33 années après le retrait peu honorable de l’Espagne, inclus dans la liste des seizes derniers territoires non autonomes établie par le comité de décolonisation des Nations Unies. Nous attendons la mise en œuvre de la résolution 1514 de l’Assemblée générale portant déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux.
Aussi, le Peuple Sahraoui auquel les planificateurs de l’agression de 1975 n’accordaient pas plus d’une semaine de résistance, face aux armées marocaines et mauritaniennes, soutenus par les avions jaguars français et la complicité matérielle de l’Espagne, reste debout dans les territoires occupés, dans les territoires libérés et dans les campements de réfugiés, défiant l’occupant et appelant pour une solution démocratique, une solution par la voie des urnes au conflit qui l’oppose au Maroc.
L’invasion du territoire en 1975 ne reposait sur aucune justification historique au légale fondée. Elle est intervenue au moment où l’ONU avait sur la table deux textes : l’avis de la Cour internationale de justice et le rapport de la mission de visite envoyée par l’Assemblée générale en mai et juin 1975.
La Cour avait conclu qu’elle n’avait pas constaté l’existence des liens juridiques de nature à modifier l’application de la résolution 1514 de l’Assemblée générale pour la décolonisation du Sahara occidental et, en particulier, l’application du principe d’autodétermination grâce à l’expression libre et authentique de la volonté des populations des territoires.
La mission de visite, pour sa part, établissait que dans les territoires, la population, pour le moins la quasi unanimité des personnes qu’elle avait rencontrées, s’étaient prononcées catégoriquement en faveur de l’indépendance et contre les revendications territoriales du Maroc et de la Mauritanie.
Monsieur le Président, face à ce déni de justice, le Peuple Sahraoui a été forcé de poursuivre sa lutte légitime de libération nationale commencée depuis le 20 mai 1973 contre le colonialisme espagnol. Mais tout en s’opposant sur le champ militaire aux envahisseurs, le Front Polisario n’a jamais fermé la porte aux voies pacifiques pour mettre un terme au conflit.
Le 5 août 1979, un accord de paix a été signé entre le Front Polisario et la Mauritanie après plusieurs mois de négociations entamées ici, à Paris, en septembre 1978, le Maroc, au lieu de respecter cet accord, a décidé d’étendre son occupation sur les territoires évacués par la Mauritanie.
L’ONU, emboîtant le pas à l’organisation de l’Unité Africaine, a pris conscience de la gravité de cette situation. La résolution 34-37/1979 de l’Assemblée générale a vigoureusement dénoncé la prolongation de l’occupation par le Maroc de la partie des territoires évacués par la Mauritanie et demandé au Maroc de mettre un terme à cette situation et de négocier avec le Front Polisario les modalités
d’un référendum d’autodétermination pour le peuple du Sahara occidental. Les tentatives de médiation répétées de l’OUA entre 1976 et 1984, à travers son Comité de sages puis son Comité de mise en œuvre, n’ont pu réussir du fait de l’intransigeance du Maroc. L’organisation continentale en tira les conséquences en admettant en son sein, comme membre à part entière, la République sahraouie. Le Maroc se trouve de son côté isolé, depuis plus de 24 ans, hors de l’Union Africaine.
Aussi, il y a lieu de rappeler que le Front Polisario, au cours de ces trois décennies, n’a épargné aucun effort pour faire aboutir les différentes médiations et négociations. La première rencontre entre délégations marocaine et sahraouie a eu lieu en octobre 1978 à Bamako au Mali. Puis suivirent celles de Lisbonne, d’Alger au cours des années quatre-vingt. Enfin les bons offices du Secrétaire Général des Nations Unies et du Président en exercice de l’Organisation de l’Unité Africaine qui ont commencé en avril 1986 ont, au terme de 4 années de négociations en direct, permis l’élaboration du Plan de règlement.
C’est donc en 1991, après 16 années de combat, que la Communauté internationale a persuadé le Maroc à accepter le principe de la tenue d’un référendum d’autodétermination au cours duquel le Peuple Sahraoui aurait à choisir entre l’indépendance et l’intégration au Maroc.
Son premier ministre d’alors, Monsieur Karim AMRANI, avait déclaré devant l’Assemblée générale, à la suite de la signature du plan de règlement en 1991, que son pays était déterminé à respecter les résultats du référendum quels qu’ils soient.
Le Front Polisario, quant à lui, a pleinement coopéré pour la mise en application des différents plans de paix et a fait des concessions substantielles, à la fois en acceptant les amendements marocains concernant la composition du corps électoral dont la liste provisoire a été publiée par la commission d’identification à la fin de 1999, et surtout en acceptant le plan Baker de 2003 qui prévoit une période transitoire d’autonomie de 4 à 5 ans suivie d’un référendum d’autodétermination avec 3 options : indépendance, autonomie et intégration.
Monsieur le Président, l’espoir né de l’accord donné par le Maroc au principe du référendum d’autodétermination avec l’indépendance, doit-il prendre fin ? Le Maroc a bloqué la mise en œuvre des deux premiers plans; plan de règlement et Accords de Houston, sous le prétexte de la composition du corps électoral et a rejeté formellement le troisième plan
Baker, en vertu de l’argument suivant lequel la consultation prévue incluait l’option de l’indépendance. Le Maroc, convaincu alors que toute consultation populaire au Sahara occidental mènerait inéluctablement à l’indépendance, a durci sa position à partirde2004,rejetant officiellement le principe de l’autodétermination qui implique ; comme le veut la pratique des Nations Unies en matière de décolonisation, le choix entre plusieurs options dont l’indépendance. Cette attitude arrogante, irrespectueuse face aux engagements pris devant la Communauté internationale, montre combien le Maroc ne veut pas de sortie négociée et conforme au droit international de ce conflit l’opposant au Peuple Sahraoui depuis trois décennies.
On ne peut, à cet égard, que regretter le manque de fermeté des Nations Unies devant cette volte face du régime marocain. L’ONU, qui a eu pendant la même période à mener à bon port le processus de décolonisation au Timor-Est, situation très voisine de celle du Sahara occidental, a fait preuve de mansuétude, pour ne pas dire de démission totale devant le dictat de Rabat.
Derrière cette situation, il faut bien le dire, se trouve malheureusement un membre permanent du Conseil de Sécurité, en l’occurrence la France, qui a usé de tout son poids et de toute son influence pour éviter au Maroc la moindre remontrance, la plus légère observation, même quand il s’agit des violations des droits de l’homme dans les territoires occupés.
Mais en dépit de ce blocage, le Maroc et ses amis ne peuvent ignorer qu’aucun pays ou organisation ne reconnaît la souveraineté marocaine sur le territoire du Sahara occidental et, comme clairement spécifié dans l’avis du Secrétaire général adjoint de l’ONU chargé des affaires juridiques, Monsieur Yann KOREL, le 29 janvier 2002, le Maroc n’est pas la puissance administrante du territoire et l’avenir de celui-ci, comme souligné dans le même avis, doit être décidé par le peuple du Sahara occidental.
Monsieur le Président, le départ de Monsieur James BAKER en 2004, après 7 années de loyaux services en tant qu’envoyé personnel du Secrétaire général pour le Sahara occidental, a laissé un immense vide. Il faut reconnaître que BAKER n’a manqué ni d’imagination, ni de sérieux dans la recherche d’une solution au conflit. A son actif, la remise sur rail du plan de règlement, au terme d’un processus de négociation entamé à Londres en juin 1997 et couronné en septembre de la même année à Houston par un accord fixant la date du 8 décembre 1998 pour la tenue du référendum d’autodétermination.
Sahara Info 144-145
Juillet à décembre 2008