« J’ai toujours dit que dans ce pays, les droits humains s’arrêtent à la question du Sahara. Quiconque dit que le Sahara n’est pas marocain, ne peut bénéficier des droits humains ». C’est ainsi que s’exprimait en 1993 Hassan II, assumant avec cynisme la cruauté des années de plomb.
La libération et la grâce royale dont ont bénéficié en janvier dernier douze condamnés sahraouis dont Ali Salem Tamek correspondent-elles à une nouvelle donne au Maroc et à la capacité de Mohamed VI à imposer des changements, à faire taire les sécuritaires, l’armée ? Les signaux sont depuis janvier contradictoires et une nouvelle donne concernant le pilotage du conflit du Sahara occidental peu perceptible !
Ali Salem Tamek avait été condamné en octobre 2002 à deux ans de prison ferme. Peine assez faible, compte tenu des attendus de sa condamnation «atteinte à la sûreté de l’État, intelligence avec l’ennemi et appartenance au réseau subversif du Polisario» et de ce que l’on sait de l’indépendance de la justice au Maroc. Ainsi, en 2002, suite aux fortes mobilisations de la rue, des chômeurs, des étudiants sahraouis, le pouvoir hésitait déjà.
La libération anticipée des Sahraouis et d’un journaliste, Ali Lamrabet, porteur de la revendication sur les libertés publiques, étaient-elles alors à mettre au crédit d’un roi démocrate et moderne ? C’était en tout cas un message pour l’extérieur, Etats-Unis, Europe dont le Maroc avait grand besoin.
Hassan II avait été contraint d’accepter après 1988 la présence au Sahara occidental d’une force de paix chargée du cessez-le-feu et de l’organisation du référendum. Il s’agissait pour lui de gagner du temps. «La Minurso, c’est l’épine dans le pied du Maroc, mais il ne faut pas qu’elle fasse mal» dira avec un humour désabusé un fonctionnaire de l’ONU. Une épine avec le temps peut être dangereuse et provoquer le développement d’un foyer infectieux. Ainsi en juillet 2003, le nouveau plan Baker envisageait d’installer pendant cinq ans une administration Polisario dans ces territoires autoproclamés marocains depuis 30 ans. Situation intolérable. Aussi ce à quoi s’emploie le pouvoir marocain, ce n’est pas une nouvelle donne mais des gestes, comme la libération de prisonniers encombrants, pour convaincre la Communauté internationale de ses bonnes intentions démocratiques et de sa légitimité à rester au Sahara.L’autre face de la donne, ce sont les efforts de diabolisation de l’ennemi, le Front Polisario. Les registres anciens de la propagande sont encore utilisés et prennent sous la plume des journalistes une allure mécanique qui ne trompe ou n’intéresse plus personne (la propagande autour des échanges familiaux a permis à certains de retremper leur plume à défaut de développer la confiance). De nouvelles pistes sont explorées. Elles sont douloureuses et cyniques. Ainsi, l’accusation de détournement de l’aide alimentaire, ainsi l’instrumentalisation des prisonniers de guerre et pour finir l’utilisation du terrorisme islamique pour faire croire à la proximité du Front Polisario et d’El Qaïda. On aimerait en rire, on ne le peut c’est trop grave. Ces gesticulations trahissent en effet l’impuissance du pouvoir marocain et d’une majorité de sa classe politique à maîtriser l’avenir de leur pays. Cette propagande échevelée s’accompagne localement d’une terreur feutrée ou ouverte, c’est selon qui, en dépit du départ de Basri, continue à enfermer les Sahraouis.Terreur feutrée qui ne doit surtout pas être vue, les militants des droits de l’homme, journalistes indépendants, sont depuis 1 an à nouveau considérés comme indésirables. Anne-Marie Vaterlau, journaliste au New Zürcher Zeïling de Zurich, qui en février 2004 «a réussi à passer» pour réaliser un reportage sur la Minurso décrit ainsi la situation : «Donc El Aïoun, ville sous la botte des forces de l’ordre, l’armée, la police, les agents en civil. La ville dans laquelle le lait de la pensée conforme peut tourner au vinaigre en un instant par une remarque inadaptée».
Ali Salem Tamek et ses compagnons expriment publiquement cette pensée non conforme, partagée par tant de Sahraouis qui ne peuvent ou n’osent l’exprimer. Cette expression publique, relayée par quelques journaux, peut-elle faire bouger les choses au Maroc de manière significative ?
Le 31 janvier 2004, quelques semaines après sa libération, Ali Salem Tamek est interviewé par Abdallah Ben Ali, journaliste à Maroc Hebdo International. Cet interview a fait grand bruit, a suscité une campagne presque hystérique, Ali Salem Tamek est renvoyé de son syndicat (Confédération démocratique du travail) dont il était secrétaire de section. Il faut absolument retenir que le journaliste qui a mené l’interview était mauritanien… ceci expliquant cela !
Mais au-delà de cette agitation sans doute en partie fabriquée, un journal comme «Tel quel» pose quelques bonnes questions. Dans sa livraison du 23 février 2004, il interroge des journalistes, des responsables associatifs : «Peut-on donner la parole aux indépendantistes ?»
Le Président de l’AMDH (Association marocaine des droits de l’homme) Monsieur Abdelhamid Amine répond oui et justifie sa réponse.
«Oui c’est une opinion et chacun devrait pouvoir exprimer ses opinions librement ».
Même quand Ali Salem Tamek défend le Polisario « entité ennemie du royaume » ?
« Je me répète peut-être, mais pour moi la liberté d’expression est absolue (…) D’ailleurs, l’état lui-même a accepté officiellement l’option de l’autodétermination. Il est difficile, sans tomber dans la contradiction, de juger quelqu’un pour haute trahison, alors qu’il dit la même chose que l’État ».
Le journal Hebdo du 14 février 2004 sous la plume d’Aboubak Jamai, s’interroge : A-t-on le droit de s’offusquer des propos d’Ali Salem Tamek ? Oui. Doit-on l’empêcher de s’exprimer ou punir ceux qui lui permettent de s’exprimer ? non (…) Son incarcération a contribué à ternir l’image d’un Maroc sur le chemin de la démocratie. Freedom House, influente ONG américaine, a classé la situation des droits civiques dans les «provinces du sud» pour l’année 2003 parmi les pires régimes du monde (…)
Comment peut-on interdire à un Sahraoui de clamer son souhait d’indépendance alors que l’État marocain a accepté l’organisation d’un référendum d’autodétermination ?
De telles questions traversent la société marocaine. Reprises, multipliées ne peuvent-elles faire évoluer les positions considérées comme sacrées ? Elles confortent aussi les Sahraouis habitant le Maroc ou le Sahara occidental, qui ont trouvé en Mohamed Daddach d’abord, puis en Ali Salem Tamek et tous ceux qui l’entourent, des militants exemplaires qui courageusement coordonnent les mobilisations. Leur libération en janvier, même si elle a été opportuniste de la part du pouvoir marocain, correspond à un mouvement populaire qui s’exprime désormais sans peur, capable de faire vaciller les citadelles les plus imprenables.