Le retour du Maroc en 2017 au sein de l’Union Africaine, dont il était parti en 1984 après que la République sahraouie y était entrée, n’a pas atteint son objectif : obtenir de l’UA l’expulsion de la RASD, ou du moins son écrasement politique. Aujourd’hui, en mars 2021, à travers la décision de son Conseil de Paix et de Sécurité (CPS), la décolonisation de la dernière colonie d’Afrique est revenue au centre des préoccupations politiques de l’Union Africaine, avec la détermination claire de faire avancer ce dossier enlisé au Conseil de Sécurité de l’ONU depuis 2 décennies.
Depuis trois ans, la diplomatie marocaine est très présente dans les différentes institutions de l’organisation régionale et tente de mettre en place un front anti-RASD capable d’empêcher toute expression sahraouie et toute expression d’États attachés au respect du droit de la décolonisation. Faute d’y parvenir, à partir de 2020, le Royaume a mis en place à grands frais à El Aïoun et Dakhla des consulats fantoches de plus d’une dizaine d’États africains traditionnellement alignés sur la position marocaine, comme le Gabon ou la Côte d’Ivoire.
C’est dire l’importance de la décision du dernier sommet des Chefs d’État de l’UA (6-7 février 2021) : organiser en mars une réunion du Conseil de Paix et de Sécurité (CPS) consacrée officiellement au Sahara occidental, parmi d’autres sujets à l’ordre du jour. Cette réunion s’est tenue à Addis Abeba le 9 mars, en l’absence du Maroc qui a refusé d’y participer.
Le rôle historique de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) devenue Union Africaine (UA) en 2002
Le Front Polisario a salué l’allocution qu’a prononcée le Président algérien Abdelmajid Tebboune lors de la réunion du 9 mars, rappelant que l’organisation continentale « a eu un rôle historique dans l’élaboration et l’adoption du Plan de règlement onusien » et qu’elle « ne peut rester silencieuse ou mise à l’écart ». Impossible d’oublier en effet que l’OUA était aux côtés de l’ONU dans la mission conjointe de bons offices qui a parrainé le plan de règlement de 1991 entre le Front Polisario et le Maroc.
C’est pourtant ce que Rabat tente de nier, en s’opposant à ce que le dossier du Sahara occidental soit aujourd’hui soumis à l’UA, au prétexte que la question est inscrite à l’agenda de l’ONU seule habilitée à le traiter…
Malgré un intense lobbying et une campagne médiatique acharnée visant à faire croire à l’échec de la réunion du 9 mars, la publication le 19 mars du communiqué développant les décisions prises à l’unanimité lors de cette réunion du CPS a apporté bien des déconvenues au royaume…
En effet, le CPS s’y est montré clairement hostile aux revendications territoriales marocaines, qui violent la Charte constitutive de l’UA en prétendant s’approprier des territoires par la force, ce qui représente une menace pour la stabilité de la région. La résolution s’appuie sur l’article 4 de l’Acte constitutif de l’UA : respect des frontières héritées de la colonisation, refus de l’acquisition de territoires par la force, résolution des litiges à travers des négociations pacifiques. Tout ce que la RASD respecte et défend.
Ainsi, sur le plan des principes, la position de la République sahraouie comme pays membre de plein droit et membre fondateur de l’Union africaine est-elle renforcée.
Un appel au dialogue et des mesures concrètes pour faire avancer le dossier
Le CPS de l’UA a donc demandé à la RASD et au Maroc de s’engager, sous l’égide de l’ONU et de l’UA, dans des pourparlers directs et francs, sans aucune condition préalable, pour parvenir à un nouvel accord de cessez-le-feu et réunir les conditions qui permettent au peuple sahraoui d’exercer son droit inaliénable à l’autodétermination.
Il a bien sûr exhorté à cesser immédiatement les hostilités et à engager le dialogue.
Des mesures concrètes ont en outre été annoncées par le CPS :
- Organisation d’enquêtes de terrain dans les pays concernés par le conflit (territoire occupé de la RASD, Maroc, territoires libérés, camps de réfugiés)
- Demande à la Commission de l’UA de prendre d’urgence les mesures nécessaires pour la réouverture du Bureau de l’UA à Laayoune, au Sahara occidental occupé, afin de permettre à l’Union africaine de réactiver son rôle dans la recherche d’une solution politique à ce conflit de longue date.
- Sollicitation d’un avis juridique au Conseiller juridique de l’ONU sur l’ouverture de consulats dans les territoires occupés du Sahara occidental.
Les réactions
Si le ministre des Affaires étrangères marocain, Nasser Bourita, a réagi au communiqué du CPS en déclarant avec mépris qu’il s’agissait d’un « non événement », les dirigeants du Front Polisario ont souligné à quel point cette décision « torpillait la stratégie marocaine » (Mohamed Salem Ould Salek, Ministre des AE sahraoui) et marquait « une défaite amère, un coup très dur pour les ambitions politiques de Rabat sur le continent eu égard au conflit du Sahara occidental » (Oubi Bouchraya Bachir, Représentant du Front Polisario pour l’Europe et l’Union européenne).
« L’Union africaine ne transigera pas avec le Royaume du Maroc qui rejette les efforts africains de règlement du conflit au Sahara occidental », a déclaré pour sa part l’ambassadeur de la République arabe sahraouie démocratique (RASD) au Kenya, M. Bah El-Mad Abdellah, estimant que « le Maroc est face à deux options : participer au processus politique ou s’isoler à nouveau sur la scène africaine ».
De son côté, Abdelkader Taleb Omar, ambassadeur de la RASD en Algérie, a appelé l’Union Africaine « à prendre des mesures coercitives contre tout membre qui ne respecte pas ses décisions afin de préserver sa crédibilité ». Il a estimé que « la décision du CPS adresse un message fort au régime marocain, d’une part, pour qu’il cesse ses manœuvres, et à l’ONU, d’autre part, pour qu’elle accélère le processus de règlement à travers la désignation d’un envoyé personnel de son Secrétaire Général et se penche sur le dossier de l’ouverture de consulats illégaux dans les parties occupées du Sahara occidental ».
Pour Mohamed Sidati, Représentant du Front Polisario en France, « en réitérant que le conflit du Sahara occidental relève de la décolonisation et que le droit du peuple sahraoui à l’autodétermination est un droit inaliénable, le Conseil de Paix et de Sécurité (CPS) a anéanti les rêves du Maroc d’enterrer la question sahraouie ». Mohamed Sidati a estimé que « cette position assoit les fondements d’une nouvelle étape dans la lutte du peuple sahraoui pour l’édification de son État indépendant sur l’ensemble de son territoire », et que l’UA offre ainsi à l’ONU « un socle » pour « s’acquitter pleinement de sa mission de parachever la décolonisation de la dernière colonie d’Afrique, à partir d’un « sérieux partenariat UA-ONU » ».
Il a en outre affirmé que « la lutte du peuple sahraoui procède d’idéaux communs aux peuples africains, en l’occurrence l’émancipation, le rejet de la logique d’annexion par la force et la main mise sur les territoires d’autrui ». Pour lui, « la balle est désormais dans le camp de l’ONU, appelée à saisir l’opportunité de la disponibilité de l’UA à traiter sérieusement le dossier sahraoui ».