Le rapport du Secrétaire général
Le 1er avril 2019, le Secrétaire Général de l’ONU, António Guterres, a rendu au Conseil de sécurité son rapport sur la situation concernant le Sahara occidental.
Il y fait un état des lieux des aspects militaires (application du cessez-le-feu de 1991, respect de l’accord militaire n° 1), lesquels ne font pas l’objet d’alerte sérieuse : « la situation au Sahara occidental est restée relativement calme, le cessez-le-feu tient toujours ».
Il y traite aussi de la lutte anti-mines, qui s’effectue à l’est du mur de sable en collaboration étroite entre la mission de paix des Nations Unies (la MINURSO) et le Front Polisario, alors qu’à l’ouest, dans la partie occupée par le Maroc, cette collaboration n’existe pas, l’armée marocaine se contentant d’« annoncer » qu’elle a détruit 679 restes explosifs de guerre depuis octobre 2018…
Des incidents révélateurs
La MINURSO a transmis l’information au Secrétaire Général d’un certain nombre d’incidents concernant des civils sahraouis dans la zone « tampon »bordant le mur marocain au sud, ou dans le territoire libéré par le Front Polisario à l’est du même mur. Ainsi, des barrages routiers périodiques sont « dressés par des civils de la zone tampon pour protester contre le manque de perspectives d’emploi au Sahara occidental et l’augmentation des redevances perçues par le Maroc pour le trafic commercial. À partir de décembre, les entraves à la circulation se sont multipliées, provoquant d’importants embouteillages. » Plus grave, un incident s’est produit dans la zone tampon de Guerguerat, le 2 février, après que les observateurs militaires de la MINURSO avaient quitté cet endroit dans la journée : « Un jeunes sahraoui s’est immolé par le feu à la hauteur du point de passage marocain, en signe de protestation contre les autorités « frontalières » du Maroc. Il a succombé à ses blessures le 6 février. Cet incident a soulevé chez de nombreux membres de la communauté sahraouie une vive indignation qui s’est exprimée dans les médias sociaux ; leur colère était en partie dirigée contre l’ONU et la MINURSO ».
Dans un autre style, « le 17 octobre 2018, trois chercheurs d’or illégaux sahraouis travaillant à l’est du mur de sable ont pénétré dans la base d’opérations de la Mission (MINURSO) à Mijek sous le faux prétexte d’une morsure de serpent et demandé des soins médicaux d’urgence. Une fois à l’intérieur, ils ont révélé qu’ils se livraient à l’extraction clandestine d’or dans une zone voisine et prétendu qu’ils fuyaient pour ne pas être arrêtés par le Front Polisario. » En fait, la MINURSO locale s’est concertée avec le Front, et les 3 chercheurs d’or ont pu quitter calmement la base de Mijek, menacés toutefois de représailles s’ils reprenaient leurs activités d’extraction d’or sans autorisation.
Ainsi va la vie aux abords du Sahara occidental occupé par le Maroc, avec des marques de colère et de frustration, et avec la tentation du trafic… Mais de l’autre côté du mur, que se passe-t-il ?
Les opérations de la MINURSO compliquées à l’ouest du mur marocain
Le Secrétaire Général l’affirme : « Les interprétations divergentes qu’ont les parties du mandat de la MINURSO continuent de poser un problème majeur aux opérations de la Mission. » En effet si, pour le Front Polisario, il est bien clair que la MINURSO est la MIssion des Nations Unies pour l’organisation d’un Référendum au Sahara Occidental, une mission avant tout politique, le royaume marocain ne lui reconnaît comme « mandat » que la surveillance et la mise en application du cessez-le-feu. En conséquence « la MINURSO n’a pas accès à des interlocuteurs locaux à l’ouest du mur de sable. »
Et le Secrétaire Général souligne que cela « continue de limiter sa capacité d’évaluer en toute indépendance la situation au Sahara occidental, à des fins d’analyse ou de sécurité, et donc de s’acquitter de cette partie de son mandat qui consiste à prêter assistance à mon Envoyé personnel. » Or celui-ci, M. Horst Köhler, a justement demandé ces derniers mois au chef de la MINURSO, M. Colin Stewart, de l’aider à maintenir des contacts avec certains interlocuteurs locaux. Le Maroc s’y est opposé catégoriquement, prétextant que « ces contacts seraient incompatibles avec le mandat de la Mission » !
La Mission des Nations Unies ne peut donc connaître directement ce qui se passe
En particulier, tout ce qui concerne la situation des droits de l’homme à l’ouest du mur échappe à son constat.
C’est le Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH), basé à Genève, qui s’efforce de recueillir les informations sur cet aspect, rencontrant lui aussi toutes les difficultés pour organiser des visites techniques dans la partie occupée par le Maroc. Le Secrétaire Général signale les préoccupations du HCDH quant à « la persistance des larges restrictions imposées à la liberté d’expression, au droit de réunion pacifique et au droit d’association au Sahara occidental ». « Au cours de la période considérée (d’octobre 2018 à avril 2019), le Haut-Commissariat a continué de recevoir des informations faisant état de harcèlement, d’arrestations arbitraires, de confiscation de matériel et de surveillance excessive de journalistes, blogueurs et défenseurs des droits de l’homme qui couvraient les violations des droits de l’homme sur le territoire ».
En outre, le Haut-Commissariat a appris qu’au moins 15 personnes avaient été expulsées du Sahara occidental ou s’étaient vues refuser l’accès au territoire par les autorités marocaines, « notamment des défenseurs des droits de l’homme, des chercheurs, des avocats et des représentants d’organisations non gouvernementales internationales », dans la même période d’octobre 2018 à avril 2019.
Enfin, le HCDH a reçu plusieurs communications faisant état de torture et de mauvais traitements infligés à des détenus sahraouis au Maroc, telles celles « émanant d’avocats ou de parents de détenus membres du groupe du camp de Gdeim Izik selon lesquelles plusieurs membres de ce groupe ont été soumis à la torture et à de longues périodes d’isolement en cellule, ont souffert de négligence médicale et d’interdiction de visites familiales et se sont vus refuser l’accès à des mécanismes indépendants de surveillance des droits de l’homme. »
On remarque que le rapport du Secrétaire Général ne fait nulle mention de problème de droits de l’homme dans la partie du territoire libérée par le Front Polisario ni dans les camps de réfugiés sahraouis.
Quelles conclusions en tire le Conseil de Sécurité dans sa résolution adoptée le 30 avril 2019 ?
De bonnes intentions.
Ainsi, il souligne qu’« il importe d’améliorer la situation des droits de l’homme au Sahara occidental et dans les camps de Tindouf, encourageant les parties à collaborer avec la communauté internationale pour élaborer et appliquer des mesures indépendantes et crédibles qui garantissent le plein respect des droits de l’homme, en gardant à l’esprit leurs obligations découlant du droit international. »
Bien plus, il encourage les parties « à persévérer dans les efforts qu’elles mènent chacune pour renforcer la promotion et la protection des droits de l’homme au Sahara occidental et dans les camps de réfugiés de Tindouf, y compris les libertés d’expression et d’association. »
Très bien !
Mais la suite conduit au doute, car le Conseil de Sécurité « se félicite à cet égard des mesures et initiatives prises par le Maroc, du rôle joué par les commissions du Conseil national des droits de l’homme (CNDH) à Dakhla et à Laayoune, et de l’interaction entre le Maroc et les mécanismes relevant des procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme de l’Organisation des Nations Unies ». Or on ne peut ignorer que le CNDH n’est pas un organe indépendant, que tous ses membres ont été nommés par le pouvoir de Rabat…
Toutefois, le Conseil de sécurité encourage vivement à « renforcer la coopération avec le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, y compris en facilitant des visites dans la région. » Il laisse ainsi deviner que les visites du HCDH au Sahara occidental n’ont pas jusqu’alors été facilitées…
En outre, le Conseil demande aux parties de « coopérer pleinement avec la MINURSO, y compris en ce qui concerne sa liberté d’interagir avec tous ses interlocuteurs, et de prendre les mesures voulues pour garantir la sécurité, ainsi qu’une totale liberté de circulation et un accès immédiat au personnel des Nations Unies et au personnel associé dans l’exécution de leur mandat ».
Voilà qui devrait permettre à l’avenir à la MINURSO de recueillir tous les témoignages et de constater tous les incidents et violations des droits de l’homme là où ils ont eu lieu, d’un côté ou de l’autre du mur de séparation.
À moins que…
La résolution 2468(2019) soumise à de fortes critiques
Cette résolution reconduit la MINURSO pour un mandat de 6 mois, jusqu’à fin octobre 2019. Demandant aux parties de « faire preuve de volonté politique et de travailler dans une atmosphère propice au dialogue afin de faire avancer les négociations », elle n’a pas recueilli l’unanimité de vote des 15 membres du Conseil de Sécurité. La République d’Afrique du Sud et la Fédération de Russie se sont abstenues.
L’Afrique du Sud
Ainsi, Pretoria a longuement critiqué le processus de négociations sur la résolution. Elle a même avoué avoir pensé sérieusement voter contre.
Elle dénonce en particulier le fait que les projets de résolution continuent d’être préparés dans l’opacité par ceux des membres du Conseil qui font partie du « Groupe des Amis du Sahara occidental », à savoir les États-Unis, le Royaume-Uni, la France, la Russie et l’Espagne, en excluant les autres membres. Ce « Groupe des amis » est qualifié par elle de non représentatif car aucun pays africain n’y siège.
De plus, les membres du Conseil n’ont pas eu assez de temps pour discuter à fond de la résolution.
De plus encore, Pretoria critique le libellé de la résolution qui semble favorable à l’une des deux parties au conflit ; en effet, le texte dit: « Prenant note de la proposition marocaine présentée au Secrétaire Général le 11 avril 2007 et se félicitant des efforts sérieux et crédibles faits par le Maroc pour aller de l’avant vers un règlement », alors qu’il se contente de signaler platement : « prenant note également de la proposition du Front Polisario présentée au Secrétaire Général le 10 avril 2007 », sans autre forme d’explication ni d’encouragement.
L’Afrique du Sud souligne que la MINURSO a été créée pour organiser le référendum d’auto-détermination au Sahara occidental, et que c’est sa seule raison d’être. À cet égard, elle accuse le manque de clarté des termes « réaliste », « réalisme » ou encore « compromis » utilisés dans la résolution (qui engage les parties à faire « preuve de réalisme et d’un esprit de compromis »), et elle affirme : « Nous devons nous garder de diluer le droit à l’autodétermination du peuple sahraoui dans un langage vague et ambigu ».
Elle refuse l’idée qu’une résolution du Conseil de Sécurité essaie d’influencer la direction politique du processus et, pire, qu’elle essaie de « préjuger du statut final ». Or, en félicitant le Maroc pour « ses efforts sérieux et crédibles pour aller de l’avant », c’est bien le statut d’autonomie sous sa souveraineté proposé par Rabat que le Conseil soutient !
Pretoria accuse encore le Conseil de refuser d’intégrer un volet droits de l’homme dans le mandat de la MINURSO, à la différence d’autres missions de paix. « On a le sentiment que les droits du peuple du Sahara occidental ne sont pas comparables à ceux d’autres peuples ! » souligne-t-elle.
Et elle note que le texte de la résolution « ne fait pas la distinction entre les parties au conflit, le Maroc et le Front Polisario, et les pays voisins que sont l’Algérie et la Mauritanie ». Ce qui conforte, volontairement ou non, la position du Maroc pour qui l’Algérie est partie au conflit !
Pour finir, face à toutes ces critiques, l’Afrique du Sud invite le Conseil de Sécurité à prendre ses responsabilités, car le Sahara occidental est la dernière colonie en terre africaine.
La Fédération de Russie
Moscou a également longuement critiqué le processus de négociations de la résolution, s’inscrivant en faux contre un texte qui essaie de modifier « certains paramètres déjà établis ». « Nous sommes contre certains libellés et, pour ce renouvellement comme pour les précédents, notre avis n’a pas été pris en compte, alors que nous voulions tout simplement le retour des libellés agréés par le Conseil de Sécurité » : on ne risque pas trop de se tromper en identifiant les « paramètres déjà établis » avec le droit à l’autodétermination du peuple sahraoui, alors que les libellés nouvellement imposés sont le « réalisme » et le « compromis »… La Russie dénonce d’ailleurs le rôle du porte-plume de la résolution (Washington), qui a opté pour ce langage « vague et ambigu » et, bien qu’en faisant partie, elle critique le « Groupe des amis du Sahara occidental » où aucun pays africain ne siège.
D’autres approches, contradictoires, réductrices, ou nuancées
Les États-Unis, rédacteurs de la résolution du Conseil, rappellent que les opérations de maintien de la paix de l’ONU doivent de manière générale soutenir les solutions politiques, et que c’est à cette aune qu’il faut « continuer d’évaluer les résultats de la MINURSO ».
Au contraire, la France doute de cette manière de voir les choses. Pour elle, l’existence et le mandat de la Mission ne doivent pas être conditionnés aux progrès dans les discussions politiques, la MINURSO devant se contenter de créer les conditions propices sur le terrain.
Elle dit par ailleurs que les mandats de 12 mois doivent rester la norme pour la Mission (et ceux de 6 mois l’exception), l’avantage étant la continuité et la plus grande prévisibilité dans la gestion. Elle veut qu’en octobre 2019 le renouvellement d’un an soit acquis.
La France plaide ainsi indirectement pour le prolongement du statu quo, alors que la résolution du Conseil considère que celui-ci « n’est pas acceptable ».
Elle souhaite en outre que « les quatre délégations (Maroc, Front Polisario, Algérie et Mauritanie) poursuivent leurs discussions dans une esprit constructif et de compromis en vue de parvenir à une solution politique réaliste, pragmatique, juste, durable et mutuellement acceptable ». On voit que le réalisme et le pragmatisme comptent pour elle avant la justice de la solution à laquelle on pourrait aboutir, et qu’il ne lui paraît pas nécessaire d’inclure l’autodétermination du peuple sahraoui dans cette solution.
La France du reste estime que « le plan d’autonomie marocain de 2007 est une base sérieuse et crédible de discussions »…
L’Allemagne, présidente du Conseil de Sécurité en avril, s’est montrée plus positive pour le peuple sahraoui. Elle a invité le Maroc et le Front Polisario à adopter des mesures de confiance, comme par exemple d’accueillir sur le terrain les observateurs des droits de l’homme.
Pour sa part, la Chine a souhaité qu’à l’avenir le Conseil tienne des consultations plus approfondies avant le renouvellement du mandat de la MINURSO.
D’ailleurs, dans sa résolution 2468, le Conseil prie le Secrétaire général de lui faire régulièrement si nécessaire et d’inclure dans les 3 mois avant le renouvellement du présent mandat des exposés sur l’état d’avancement des négociations tenues sous ses auspices, sur l’application de la présente résolution, sur les difficultés auxquelles se heurtent les opérations de la MINURSO et sur les mesures prises pour les surmonter. Il le prie également de lui présenter son rapport sur la situation au Sahara occidental « bien avant la fin du mandat de la Mission ».
La conscience de l’urgence de la situation aurait-elle enfin progressé ?
Les regrets justifiés du Front Polisario
Celui-ci est sévère. Il regrette l’incapacité du Conseil de sécurité à condamner le Maroc pour ses actions déstabilisatrices ̶ notamment la répression brutale de la population civile sahraouie dans les territoires occupés ̶ qui risquent de saper un processus politique déjà fragile. Le Front souligne qu’une telle incapacité ne fait qu’encourager la puissance occupante marocaine à persister dans son intransigeance, que l’on peut juger à son refus d’adopter des mesures de confiance.
Il regrette encore que le Conseil de sécurité ait manqué une occasion notable de donner suite à son engagement de mettre fin au statu quo. Et l’invite à prendre ses responsabilités.
La France, dont le rôle est déterminant au sein du Conseil sur le sujet du Sahara occidental, saura-t-elle enfin faire avancer le dossier dans le sens du droit ?
Le peuple sahraoui souffre depuis 44 ans (1976) de l’invasion de son sol, de la séparation de ses membres, de l’oppression de ceux qui sont restés sous occupation marocaine, du pillage de ses richesses naturelles, alors que son droit à l’autodétermination reconnu par l’ONU est inaliénable !
La mise en œuvre de ce droit est la seule solution qui permettra au peuple sahraoui, mais aussi aux peuples de la région dont le peuple marocain, de connaître un avenir meilleur. Dans sa proposition du 10 avril 2007 remise au Secrétaire général de l’ONU, le Front Polisario ne s’engageait-il pas « à accepter les résultats du référendum quels qu’ils soient et à négocier, d’ores et déjà, avec le Royaume du Maroc sous l’égide des Nations Unies les garanties qu’il est disposé à octroyer aux populations marocaines résidant au Sahara occidental depuis 10 ans ainsi qu’au Royaume du Maroc dans les domaines politique, économique et sécuritaire, au cas où le référendum d’autodétermination déboucherait sur l’indépendance » ?