Notre préparation
Le 26 janvier, l’Assemblée générale des Amis de la RASD a décidé d’organiser une manifestation devant le Parlement européen à Strasbourg pour dénoncer la complicité de l’UE dans le pillage des ressources naturelles du peuple sahraoui. La date arrêtée pour cette manifestation était le mardi 12 février, veille du vote annoncé du PE (13 février) sur l’accord de pêche UE-Maroc étendu aux eaux du Sahara occidental.
Nous avions préparé parallèlement un texte/tract (« Halte au pillage du Sahara occidental avec la complicité de l’Union européenne ! » – Sur le vote de l’accord UE-Maroc- FR – ICI) expliquant tout le contexte de droit international et européen de ce projet d’accord, et la grave responsabilité morale et juridique que représenterait pour les euro-députés un vote en sa faveur.
Une accélération brutale
C’est alors que nous avons appris coup sur coup, vendredi 8 et samedi 9 février, que :
1) Le vote en plénière du PE sur l’accord de pêche, sans débat public préalable, était avancé d’une journée au mardi 12 février midi.
2) Une motion déposée par 110 euro-députés (appartenant aux groupes des Verts, de la Gauche Unie Européenne_GUE et des Sociaux-Démocrates_S&D) sera incessamment soumise au vote en plénière du PE. Cette motion propose de demander l’avis de la Cour de justice de l’Union européenne sur la compatibilité du projet d’accord de pêche avec ses arrêts de décembre 2016 et février 2018, lesquels édictent que les accords commerciaux UE-Maroc ne sont pas applicables au Sahara occidental, sauf consentement express du peuple sahraoui. Il est clair pour tout le monde que si une telle motion est votée, le projet d’accord de pêche sera suspendu, possiblement pour de longs mois.
En fait les deux votes seront ramassés en quelques minutes le mardi 12 à la mi-journée.
Et le résultat est net : la motion de demande d’avis consultatif à la CJUE est rejetée par 410 voix contre 189 et 36 abstentions. Pour sa part, le projet d’accord de pêche est ensuite adopté par 415 voix contre 189, et 49 abstentions.
Comment l’interpréter ?
Il n’y a aucun doute que les responsables des groupes politiques favorables au Maroc au sein du PE, dont le puissant Parti Populaire Européen (PPE, 217 députés dont Les Républicains français) et le groupe droitier des Conservateurs et Réformistes Européens (ECR, 75 députés) ont mobilisé leurs troupes pour qu’ils soient tous présents et votent comme un seul homme contre la motion et pour l’accord (ce qu’on appelle une « consigne de vote »). Les très rares qui ont pu agir différemment seront très mal vus de leur direction politique. On approche ainsi les 300 votes automatiques en faveur de l’accord…
Toutefois, 29 % des votants se sont prononcés contre l’accord de pêche, alors qu’ils n’étaient que 24,6 % à voter contre l’accord « agricole » : un pas en avant.
La touche de Human Right Watch
Lundi 11 février, l’ONG américaine Human Rights Watch (HRW) avait envoyé une lettre ouverte à tous les euro-députés leur rappelant que, pour la Cour de justice de l’UE, les accords commerciaux entre l’Union et le Maroc n’avaient pas de base légale permettant d’y inclure le Sahara occidental ; et que ce territoire étant en grande partie sous occupation marocaine, le Royaume devait y respecter les règles du droit international humanitaire. En conséquence, HRW a vivement recommandé aux euro-députés de demander l’avis de la CJUE pour s’assurer que ces accords respectent les droits du peuple sahraoui et ne contribuent en aucune manière à des violations du droit international humanitaire ou des droits humains.
Plus grand monde au Parlement européen peut désormais ignorer la question du Sahara occidental.
Une manifestation bien visible
Malgré les changements de dernière heure, nous avons décidé de maintenir la manifestation le mardi 12 février, juste au moment des votes.
Notre tract « Halte au pillage du Sahara occidental avec la complicité de l’Union européenne ! » a été envoyé à plus de 150 euro-députés susceptibles d’être sensibles à un appel au respect du droit.
Et nous nous sommes organisés, avec des représentants du MRAP, de l’Association Le SOL, de l’ASPS, du Comité de jumelage et d’échanges de Gonfreville-l’Orcher, de l’ACAT locale et des associations de la Communauté sahraouie en France, pour être présents de 11 h à 14 h devant le bâtiment du Parlement européen, avec les drapeaux du Front Polisario, des banderoles et les tracts que nous avons bien distribués. À midi nous devions être près de 100 !
Le peuple sahraoui dans les arcanes du Parlement européen
Quelques minutes après, nous avons appris par des euro-députés amis et par le Ministre Mohamed Sidati, Représentant pour l’Europe du Font Polisario, les votes défavorables du Parlement européen. Nous n’étions pas vraiment déçus car nous ne doutions guère du résultat…
Quoi qu’il en soit, la reconnaissance du peuple sahraoui avance au sein du PE
C’est ce que la réunion de l’Intergroupe « Paix pour le Sahara occidental », qui a eu lieu dans la foulée mardi après-midi au Parlement, a fait ressortir. Notre délégation de 6 personnes a pu y entendre Jytte Guteland, présidente de l’Intergroupe (euro-députée suédoise du groupe S&D), Paloma López Bermejo (euro-députée espagnole de la Gauche unitaire européenne_GUE), Florent Marcellesi (euro-député espagnol d’origine française du groupe des Verts/Alliance libre européenne) et Raphaël Fišera, conseiller sur la question des droits de l’homme pour le groupe des Verts au PE.
– Paloma López a déclaré qu’il ne fallait pas se démobiliser malgré ces votes défavorables car la cause sahraouie avait bien avancé depuis un an. La campagne menée par les euro-députés solidaires, focalisée sur le sujet des accords commerciaux, a soulevé des points très concrets du droit. Pour Paloma, il faudra après ces votes continuer la campagne en interpellant par écrit les responsables de la Commission européenne, à savoir Federica Mogherini, la Haute Représentante de l’Union pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité, et Pierre Moscovici, le Commissaire européen (français) aux Affaires économiques et financières, à la Fiscalité et à l’Union douanière.
Puis se mettre en contact avec les candidats aux élections européennes sur le sujet.
– Pour sa part, Raphaël Fišera a voulu mettre en évidence, au-delà de la question du Sahara occidental, un véritable problème de démocratie au sein du Parlement. C’est ce qui est apparu peu avant le vote sur l’accord « agricole », le 16 janvier, quand le débat public prévu sur la question a été soudainement retiré de l’ordre du jour. Le groupe des Verts/ALE a alors déposé une motion proposant de l’y remettre, motion qui a été rejetée mais de très peu, par 10 voix d’écart (153 contre la motion, 143 pour).
Raphaël a en outre souligné l’importance de la lettre ouverte envoyée par HRW aux euro-députés, lettre qui alerte sur les risques pour l’UE d’encourager les violations du droit international humanitaire (DIH) par le Maroc. D’après ce que l’on sait, le DIH n’avait pas jusqu’alors été franchement abordé au PE concernant le Sahara occidental…
Autre point sur lequel Raphaël Fišera a attiré l’attention : les accords agricole et de pêche seront très difficiles à appliquer, étant donné que tout se passera entre les autorités marocaines et celles de l’Union, sans transparence et sans contrôle indépendant a priori.
– Pour sa part, Jytte Guteland a insisté pour que les euro-députés solidaires multiplient les déclarations concernant l’illégalité des accords UE-Maroc et questionnent fortement la Commission européenne sur le sujet.
La perspective des élections européennes et de l’après-élections
Elles auront lieu dans toute l’Union du 23 au 26 mai. Le nouveau Parlement européen ne sera installé que la première semaine de juillet à Strasbourg.
Encore difficile d’imaginer quelle sera sa configuration, mais quoi qu’il en soit, il faudra continuer d’y promouvoir la cause sahraouie ! On pourrait commencer par organiser une conférence sur le Sahara occidental à l’intérieur du PE, après l’été, en septembre prochain…